Un peu expéditif lorsque tiré de son contexte, ce vers du philosophe et poète roumain de caractère un brin pessimiste et sceptique marquait son désir d’absolu. Si l’on peut se languir du point de vue métaphysique, peut-on véritablement mourir pour une virgule ?
Une virgule vous manque et tout est dépeuplé
Eh bien oui ! Une virgule mal placée et tout un monde peut basculer. Loin de l’obsession du virgulard, peut-être certains d’entre vous se souviendront de l’anecdote de la reine Isabelle qui en l’an 1327, aurait malgré elle, mis à mort son époux Edward II, par une virgule déplacée. En effet, de « Edwardum occidere nolite, timere bonum est. » (Ne tuez pas Edouard, il vaut mieux craindre) à « Edwardum occidere nolite timere, bonum est. » (Ne craignez pas de tuer Edouard, c’est bon. »), la limite entre la vie et le trépas est ténue mais malheureusement vite franchie !
Ou bien tout simplement un petit oubli de virgule peut très vite déraper !
Ex : « Et si on mangeait les enfants ? » vs. « Et si on mangeait, les enfants ? »
En mettre ou ne pas en mettre, telle est la question !
Parfois négligée dans l’écriture d’un texte, la ponctuation révèle pourtant la qualité et le style du rédacteur.
Et pourtant, elle fait souvent l’objet de débat dans les cercles littéraires. De Diderot à Georges Sand, en passant par les Oulipo et autres membres du Collège de Pataphysique… Quid du bon usage des points ?
Inventée pour la première fois au IIIe siècle avant notre ère par les directeurs de la bibliothèque d’Alexandrie, la ponctuation est un ensemble de signes qui ne se lisent pas et ne se prononcent pas mais qui s’entendent au travers des silences, des variations et des intonations. Elle est affaire de tons et de débit. En quelques mots, la fonction d’une ponctuation est d’offrir un supplément de sens et de traduire des sentiments, des approches, des dimensions subjectives différentes d’une réalité.
De la ponctuation poétique et autres usages
Utilisée de manière très conventionnelle dans nos Bescherelle, la ponctuation continue pourtant de s’inventer.
Imaginée par des écrivains, des poètes, des linguistes, des typographes, voire des publicitaires, elle est expressive et amusante.
En voici quelques-unes de nos préférées…
Le point d’ironie
Créé par le poète français Alcanter de Brahm en 1899, ce point indique le sarcasme, le second degré.
Utilisé occasionnellement par le Canard Enchaîné, il est devenu le signe iconique de la créatrice Agnès B.
Représenté par un point d’interrogation en miroir vertical inversé, il ressemble beaucoup au point d’interrogation en arabe.
Le point de doute
Créé par Hervé Bazin, l’écrivain qui a écrit Vipère au poing, il marque le pressentiment, l’impression d’une réalité différente. Il s’oppose à la certitude et prend la forme d’un point d’interrogation avec un tracé en zigzag supplémentaire.
Le point de certitude
Créé par Hervé Bazin encore, il indique quant à lui l’assurance pleine et entière.
Il prend la forme d’un point d’exclamation barré.
Le point d’amour
Créé par Hervé Bazin, toujours, il montre l’amour envers quelqu’un ou quelque chose.
Le point d’indignation
Il marque le sentiment de colère ou de révolte face à une injustice ou à l’ignominie.
Il prend la forme d’un point d’exclamation tourné à 190 degrés.
Le point exclarrogatif ou l’interrobang
Imaginé par le publiciste américain, Martin Speckter, pour donner plus d’impact à ses réclames, il exprime à la fois l’exclamation et l’interrogation.
Une ponctuation en vogue dans les années 60, il disparaît peu à peu jusqu’à sombrer dans l’oubli. Mais vous pouvez le retrouver en utilisant les fontes Wingding 2, l’Helvetica ou le Calibri.
Le point d’aisances (plus connu sous le nom de « point merde »)
Une invention typographique créée par Michel Ohl, un écrivain et poète français, membre du Collège de Pataphysique.
Il indique un pied de nez un brin scatologique dans le discours.
À utiliser dans les missives avec parcimonie.
Le point de poésie
Créé par le poète français Julien Blaine dans son ouvrage Reprenons la ponctuation à zéro, son sens reste un mystère. Et là réside la poésie.
Le point de dépit mêlé de tristesse
Créé par Olivier Houdart et Sylvie Prioul en 2006, il est tout simplement magnifique.
La ponctuation et vous ?
Nous aussi, nous nous amusons souvent avec la ponctuation à exprimer nos humeurs et états d’âme et parfois sans même nous en rendre compte.
Ces signes typographiques nourrissent notre créativité typographique et nous permettent de créer…
Transformées en émoticônes, les ponctuations deviennent sourires, grandes moues, tirages de langue et autres clins d’œil !
Que celui ou celle qui n’a jamais terminé un email par « 🙂 » nous jette le premier point d’exécution* !
*Le point d’exécution est une ponctuation qui appartient à la grammaire des Shadok et permet comme son nom l’indique, d’exécuter la sentence…