Leitmotiv et parti pris très cher à Luciole, le fameux « Less is More » de Mies van der Rohe évoque en design graphique un style qui repose sur une apparente simplicité, celle qui révèle avec éclat l’essence d’un message, mais dont l’écriture exigeante requiert la maîtrise d’un savoir-faire que l’on nomme l’art typographique.
En voici quelques règles pour ceux qui aiment la pureté et le minimalisme ou tout simplement pour ceux qui souhaitent en finir avec les visuels saturés, images surchargées et autres clichés que peuvent nous offrir à défaut la plupart des banques d’images.
La grille sinon rien !
La composition d’un visuel, qu’il soit print ou digital, d’une belle double-page ou d’une page internet, s’appuie sur un travail sérieux et rigoureux de la grille typographique, cette structure invisible sur laquelle s’organisent les éléments, les caractères, les chiffres et autres signes graphiques dont le savant équilibrage est la clé.
Outil de base de tout graphiste, la grille est née des règles (anciennes !) de la composition en presse qu’on appelait plus familièrement « la compo » et à laquelle le journaliste envoyait son « papier ». On y assemblait à la main – et à l’envers ! – les caractères de plomb de corps différents (terme technique qui désigne la taille) pour donner naissance à la page souhaitée.
Titraille, chapô, textes courants et autres éléments typographiques participaient à cette belle composition qui — cerise sur le gâteau de tout patron de presse qui se respecte — contribuait par l’impact d’une telle page à la vente du numéro.
L’outil a changé, avec l’arrivée de Quark X-Press il y a 30 ans puis d’Adobe InDesign plus récemment, mais le travail et l’exigence restent les mêmes, le labeur en moins !
Le choix du caractère
Jamais il n’est laissé au hasard. Pour donner la force au visuel, le caractère est pesé et sélectionné avec soin par le graphiste ou DA selon ses caractéristiques et sa chasse (ou son encombrement), en vue d’une composition esthétique globale.
Qu’il soit droit et géométrique ou au contraire tout en rondeur, il véhicule en lui-même un message. Rigueur, poésie, sympathie, impact, solidité… Les possibilités sont infinies ! Et c’est bien le brief initial qui dictera les choix, qu’il s’agisse du format du support, de son émetteur ou de ses objectifs de communication, la composition « exclusivement » typographique ne laisse guère de place au hasard !
Pour quel encombrement ?
Là aussi, les possibilités sont illimitées et à nouveau, la grille est là pour nous aider. D’un blanc tournant qu’ailleurs on appelle « marges » — ou « Marie-Louise » chez les encadreurs —, à la possibilité de travailler « hors format » en explosant le texte pour le faire partir « à la coupe » et dont une partie par conséquent ne sera pas visible, pour n’en garder que l’essentiel, un échantillon, un aperçu. Il conviendra que le résultat « plaise » à l’œil mais surtout qu’il en soit justifié. Souvent par l’intention. L’intention n’est jamais gratuite et elle est même mûrement réfléchie !
Nous disposons de multiples outils en typographie pour valoriser l’espace négatif car ce vide est un ingrédient essentiel à toute composition, que l’œil ne distingue pas spontanément ! Il est d’abord possible de jouer sur la taille du caractère (son « corps ») ou du mot, l’interlignage si on écrit sur plusieurs lignes, mais sans jamais (ou rarement) toucher à l’interlettrage, car ce dernier a été soigneusement pensé et travaillé par le typographe à l’origine de la famille de caractère utilisée.
Et dans ce travail du « blanc » (ou du vide), il est encore possible de jouer sur la justification du texte. Sera-t-il « ferré » à gauche ou à droite, et donc « en drapeau » (terme usuel pour désigner les fins de ligne d’un paragraphe) dont nous travaillerons soigneusement les retours à la ligne pour qu’il soit beau ? Choisirons-nous de centrer le texte ? Parti pris classique chez les éditeurs, mais qui peut-être plus audacieux quand le texte est long… Ou encore de le « justifier », quand on force le texte sur toute la largeur de la colonne. Avec, pour tout puriste qui se respecte et dont nous sommes, un travail d’orfèvre sur les « césures », quand il faut couper un mot pour avoir à l’œil un texte bien équilibré.
Et la couleur dans tout ça ?
Touche finale de ce travail de rigueur qu’un designer sensible à la typographie exerce avec passion, la mise en couleur autorise toutes les expériences. Et là aussi, le brief conditionne les choix, comme le graphiste ou le DA, qui évidemment y apportera sa propre sensibilité. Souhaite-t-il accentuer le contraste pour marteler le message et le rendre très lisible ? Ou au contraire jouer sur la douceur et l’harmonie pour raconter autre chose ?
Des couleurs dans l’air du temps qui marquent nos époques, à des choix plus personnels et souvent plus audacieux, la palette est aussi riche que celui du peintre et ses pigments ! Et à laquelle le noir, comme le blanc, appartiennent.
No photo ?
Une fois qu’on a dit tout ça et que la grille est maîtrisée, rien n’interdit d’intégrer à cette savante composition une image en fond, plutôt que de conserver un simple aplat. Un autre parti pris qui permettra d’apporter de la matière ou de la profondeur au visuel, tant que la photo ou illustration en fond contribue à laisser les mots et les lettres dominer, avec une typographie tout en majesté !
Typographiquement vôtre 😉